Nous avons assisté au tournage du prochain film de Diane Kurys qui s'est déroulé durant tout l'été à Lyon et sa région.
Tournage Pour une femme © ©Fouzia Chérigui
Tournage rue Aimé Collomb août 2012
Deux temps, deux couleurs
C’est au lac de Vénérieu (Isère), dans les vignes et les pierres dorées du Beaujolais, à la guinguette du « Faisan doré » en bord de Saône près de Villefranche, au château de Fareins dans l’Ain, que Diane Kurys a tourné son 12elong-métrage. Et bien sûr à Lyon, ville où elle est née en 1948, d’un couple d’immigrants russes.
Car son 5e film autobiographique, « Pour une femme », ne pouvait se passer de cette ville qu’elle a dû ré-rapprivoiser , trente ans après « Coup de foudre ». Longtemps, elle s’est éloignée de ce théâtre sombre, décor sinistre d’un événement qui l’a marquée et longuement inspirée : le divorce de ses parents, survenu l’année de ses six ans. « J’ai passé deux ans à repérer les lieux, précise-t-elle, c’était dur de retrouver Lyon, qui a beaucoup changé, et de recréer l’ambiance des années d’après-guerre. Le magasin de mon père, qui était tailleur rue Paul Bert, a été reconstitué d’après photos, tout près de son site d’ origine : rue Aimé Collomb dans le 3e arrondissement. »
Pour marquer visuellement les deux temps qui alternent dans un scénario qui fait le va-et-vient entre les années d’après-guerre et 1984, les couleurs se font plus vives ou s’estompent. Une métaphore de notre mémoire, qui tend à fondre les contours des événements de notre enfance…
Pour tenir le rôle d’Anne, jeune romancière à laquelle Diane Kurys prête nombre de ses traits, la réalisatrice à choisi Sylvie Testud. « Le fait qu’elle soit croix-roussienne comme moi est amusant mais n’a rien à voir avec mon envie de la faire tourner. J’ai écrit le scénario pendant deux ans en pensant à elle ; nous avons développé une grande complicité depuis qu’elle a incarné « Sagan », en 2008. Je me suis identifiée à elle : comme moi, c’est un petit bout de femme, elle est auteur et metteur en scène. Elle est donc parfaitement crédible… Pour jouer ma sœur (Tania dans le film), j’ai choisi Julie Ferrier dont la carnation et les yeux bleus sont proches de ceux de Sylvie Testud. Elle aussi a des origines lyonnaises ! Mais encore une fois, ce lieu de naissance n’a aucune importance pour moi. Ce qui compte, c’est que cette actrice est une fille extrêmement intéressante et qu’elle possède une très large palette de jeu. Elle est drôle mais pas seulement… »
Dans un appartement bourgeois proche de la place Bellecour, se tourne une scène entre les deux sœurs, et la vision de Diane Kurys sur ses deux comédiennes se vérifie. Assises sur un grand lit, les deux sœurs découvrent et se partagent le contenu d’un coffret de bijoux ayant appartenu à Léna, leur mère décédée. Entre elles, les répliques fusent, tour à tour douces-amères, piquantes… révélant d’insondables zones d’ombre ou d’attachement. Le jeu de Julie Ferrier, tout en nuances, oscille entre tension et tentatives de rapprochement.
Je me suis inspirée du rapport entre sœurs que j’ai vécu, confie Diane Kurys. On s’aime, on se lance des vacheries… Après la mort d’un parent, les sentiments son exacerbés, les émotions atteignent des sommets. »
Jean, son frère, est joué par Nicolas Duvauchelle : la ressemblance entre ces deux acteurs est évidente. Quant à Mélanie Thierry, elle imposait sa jolie blondeur comme étant celle de ma mère, Léna dans le film. Sa beauté est essentielle : mes parents se sont rencontrés dans un camp d’internement français. En 1942, à la veille du départ des trains pour Auschwitz, mon père a été reconnu et libéré du camp en qualité de soldat français. Il a alors eu un réflexe incroyable : il a demandé s’il pouvait partir avec sa fiancée, alors qu’il ne connaissait absolument pas celle qui est devenue ma mère. Il l’avait repérée parce qu’elle était jolie et il l’a épousée sur place, ce qui l’a sauvée ! »
On l’aura compris, ce dernier volet de la longue fresque peinte par Diane Kurys ne dit pas seulement les errements d’un couple et la passion ravageuse. Comme "Coup de foudre", sorti en 1983 (avec Isabelle Huppert et Guy Marchand dans le rôle des parents), « Pour une femme » restitue les mœurs affectives des années d’après-guerre. Mais l’histoire n’en reste pas là et prend du recul pour montrer l’impact d’une alchimie amoureuse 30 ans plus tard. Loin sur le lac, l’onde est troublée par le lanceur de ricochet…« Mon oncle Jean, le frère de mon père incarné par Nicolas Duvauchelle, était un soldat rouge qui a débarqué d’URSS à Lyon pendant quelques temps, en 1946. Il a dormi sur le canapé, la maison n’était pas grande bien sûr, et après ma naissance, plus personne n’a prononcé son nom. Pourquoi ? N’ayant pas de réponse claire, j’ai imaginé une aventure entre ce bel homme mystérieux et ma mère, dont je pourrais être le fruit, puisque les dates concordent… »
Parmi les scènes des années 40, nombreuses sont celles qui se tournent dans l’espace familial mais aussi rue Sainte-Hélène, dans une cellule reconstituée du Parti Communiste. C’est là que Michel et Léna, immigrants juifs fraîchement naturalisés français, retrouvent leurs amis Madeleine et Maurice (Clotilde Hesme et Denis Podalydès), eux aussi engagés en politique. L’occasion pour Diane Kurys de retracer des moments de vie, et à travers eux, d’aborder de larges questions de société. La condition des femmes notamment, lui tient à cœur : « Le personnage de Madeleine, libre, sans enfant, entre deux hommes, interroge sur l’évolution du statut des femmes, sur la dissidence au quotidien. Les épouses et mères des années 40 étaient-elles beaucoup moins libres que les femmes d’aujourd’hui ? On ne le dit pas souvent mais les femmes se servaient de l’humour pour biaiser, se libérer de leurs chaînes. Simone de Beauvoir a montré un chemin valorisant pour beaucoup d’entre elles qui n’étaient pas forcément dans le moule. »
La vérité a des limites
« Pour écrire ce scénario, reconnaît Diane Kurys, j’ai travaillé avec acharnement, suivant un lent processus. Car il ne restitue pas la vérité des événements de ma vie en bloc. Par exemple, je n’ai pas encore décidé si Anne fera de son histoire un livre ou un film ; j’ai tourné les deux versions pour me laisser une marge de manœuvre entre deux visions de moi-même, l’une un peu trop impudique, l’autre un peu trop éloignée… Entre faits réels et inventés, mon scénario tisse des bribes, joue une mélodie qui reprend des thèmes fondateurs que l’on retrouve dans plusieurs de mes films. La séparation des parents, le couple des sœurs, mais il donne aussi mon point de vue d’adulte sur l’adultère et bien d’autres thèmes. »
Propos recueillis par Sylvie Finand
Synopsis
Anne a beaucoup d’imagination. Normal, elle est romancière. Mais à 35 ans, en 1984, elle ne sait toujours rien de son passé. Parce que son père, sa sœur, se taisent. Parce qu’il vaut mieux ne pas toujours savoir… Après la disparition de sa mère, Anne retrouve des photos et des lettres et décide de se pencher sur la relation de ses parents, Michel et Léna, quand ils vivaient à Lyon en 1947. Ce sera son prochain roman.
Pour une femme trio voiture © ©David Koskas/Alexandre Films